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05 mai 2025

Midas, ou les illusions dorées de la communication publique

Parfois, les mythes anciens éclairent les impasses les plus contemporaines. Celui de Midas, roi de Phrygie, résonne singulièrement dans le champ de la communication et de la concertation publique. Que nous dit cette histoire, sinon le danger de confondre apparence et substance, puissance et relation, efficacité immédiate et dialogue durable ?

On connaît le récit : Midas obtient de Dionysos que tout ce qu’il touche se transforme en or. Fasciné par ce don, il touche, transforme, accumule… jusqu’à l’absurde. Car ce pouvoir finit par l’isoler : plus de nourriture, plus de tendresse, plus de vie. Dans certaines versions, sa propre fille se change en statue d’or entre ses bras. Midas implore alors les dieux de le délivrer, et retrouve son humanité en se lavant dans le fleuve Pactole.

Ce mythe illustre avec une acuité troublante certains travers de la communication publique contemporaine. Trop souvent, cette dernière se vit comme un exercice de transformation – transformer un projet, un message, une image, jusqu’à leur faire perdre toute capacité de résonance. À force de chercher l’or – la clarté du message, l’adhésion rapide, la scénographie bien huilée – on en oublie parfois l’essentiel : la relation.

Une communication qui touche, mais qui ne relie plus

Il est tentant, pour les institutions publiques ou les porteurs de projets, de croire que le bon message, porté au bon moment, suffira à emporter la conviction. On soigne la forme, on multiplie les supports, on anticipe les réactions. Comme Midas, on touche tout ce qui bouge – espérant que cela brille.

Mais à trop vouloir maîtriser, on finit par figer. Une parole publique qui ne laisse pas place à la contradiction, à l’imprévu, ou à l’incertitude, ne nourrit plus le lien démocratique. Elle rassure, peut-être, mais elle n’engage pas. Et elle peut, à terme, engendrer la méfiance ou l’indifférence.

La concertation réglementaire : le paradoxe de la maîtrise

La concertation dite « réglementaire » – qu’elle découle du Code de l’environnement, de l’urbanisme ou d’autres dispositifs – illustre cette tension. Elle est indispensable dans son principe : organiser la participation, encadrer le débat, créer des droits pour les citoyens. Mais elle devient problématique lorsqu’elle se réduit à un exercice formel, souvent perçu comme un passage obligé par les porteurs de projet, plus que comme une opportunité réelle d’échange.

Ce que beaucoup d’acteurs relèvent aujourd’hui, sans toujours oser le dire à voix haute, c’est que cette concertation s’installe parfois dans une routine : procédures balisées, documents normalisés, temporalités figées. Le risque est que les citoyens, comme les professionnels, ne s’y retrouvent plus. L’intention démocratique s’efface derrière l’obligation procédurale.

Des débats publics trop souvent standardisés

Le même constat peut s’étendre à certains grands débats publics, pourtant pensés comme des moments forts de la démocratie participative. Qu’ils concernent une ligne ferroviaire, un site industriel ou une infrastructure énergétique, ils mobilisent généralement les mêmes outils, la même durée, la même méthode. Cette standardisation, certes rassurante pour garantir l’équité, finit parfois par produire l’inverse de ce qu’elle cherche : un sentiment de distance, voire d’impuissance, chez les participants.

Car chaque territoire, chaque sujet, chaque communauté d’acteurs demande une approche spécifique, un récit singulier, un rythme adapté. La démocratie ne se pratique pas en série.

Revenir au fleuve : vers une communication vivante et enthousiasmante

Face à ces dérives, le mythe de Midas nous invite à un retour salutaire au réel, au vivant, au fluide. Comme lui, il nous faut peut-être nous délester de cette quête de transformation permanente – du besoin de faire briller à tout prix – pour renouer avec une parole publique qui écoute, qui doute, qui accepte de ne pas tout maîtriser.

Cela suppose de réinterroger les formats existants, de créer de nouveaux espaces de dialogue plus ouverts, plus mobiles, plus sensibles aux dynamiques locales. Cela suppose aussi d’accorder une place réelle à la parole citoyenne : pas seulement pour l’entendre, mais pour qu’elle puisse infléchir, co-construire, peser.

Il ne s’agit pas de jeter l’anathème sur la communication publique ou sur les démarches de concertation, dont l’existence est plus que jamais nécessaire. Mais de rappeler que leur légitimité repose moins sur leur conformité que sur leur fécondité. Et qu’à force de chercher à produire du « bon or », on risque de ne plus produire de lien.

En conclusion, le mythe de Midas, relu à l’aune des pratiques de communication et de concertation contemporaines, nous livre trois enseignements essentiels.

D’abord, que toute puissance de transformation – qu’elle soit rhétorique, institutionnelle ou technique – porte en elle une responsabilité : celle de ne pas assécher le lien, ni pétrifier la parole des autres.

Ensuite, que la standardisation des démarches participatives, même animée des meilleures intentions, peut aboutir à des formes vides de sens si elle n’intègre pas la diversité des contextes, la complexité des enjeux locaux, la densité des vécus.

Enfin, que la véritable richesse démocratique ne se mesure ni en nombre de réunions, ni en kilomètres d’affiches ou en clics de souris, mais dans la qualité des relations tissées, la reconnaissance accordée aux paroles, et la sincérité du dialogue engagé.

Le mythe nous rappelle qu’il ne suffit pas de faire parler pour écouter, ni de communiquer pour concerter. Il faut, peut-être, comme Midas, accepter de se laver du besoin de briller — pour mieux retrouver ce que parler ensemble veut vraiment dire.

Par David HEINRY, Président, Demopolis Concertation