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12 juin 2025

[ 🧐 ET SI LA VRAIE REPONSE A LA DEFIANCE DEMOCRATIQUE… C’ETAIT LA CO-CONSTRUCTION ?]

La France entre dans une pĂ©riode politique dĂ©terminante. À quelques mois des Ă©lections municipales de 2026, les campagnes Ă©lectorales s’annoncent sous haute tension, dans un climat national traversĂ© par la mĂ©fiance, le repli sur soi et une contestation diffuse du politique, des institutions, certains diraient de l’autoritĂ©. Sur les territoires, en particulier dans la France rurale et pĂ©riphĂ©rique, les fractures dĂ©mocratiques s’approfondissent. Les extrĂȘmes gagnent du terrain Ă  coup de tribunes TikTok, en se posant comme seuls remparts contre une RĂ©publique perçue comme lointaine, technocratique, voire mĂ©prisante.

Dans ce contexte, la concertation publique, dĂ©jĂ  fragilisĂ©e, devient une cible. On voit Ă©merger des demandes pour suspendre, voire supprimer, les concertations sur les projets d’infrastructure et d’amĂ©nagement. Officiellement, il s’agirait d’éviter les tensions, de prĂ©server la tranquillitĂ© des territoires, d’avoir un temps suspendu avant les Ă©lections. Comme si l’absence de dĂ©bat
 public allait dissiper la colĂšre. En rĂ©alitĂ©, ces appels reviennent Ă  invisibiliser les enjeux, Ă  prendre du retard et dĂ©velopper l’absurde pour mieux alimenter la colĂšre.

Mais c’est prĂ©cisĂ©ment ce qu’il ne faut pas faire : la dĂ©mocratie se reconstruit par l’écoute active, le dialogue et le dĂ©bat d’idĂ©es, pas par le silence et la procrastination. À l’heure oĂč la sociĂ©tĂ© doute de ses institutions, oĂč les Ă©lus sont questionnĂ©s dans leur lĂ©gitimitĂ©, oĂč la transition Ă©cologique est contestĂ©e non sur le fond mais sur ses modalitĂ©s, la concertation ne peut plus se contenter d’ĂȘtre un exercice formel. Elle doit devenir un acte politique fort : celui de la co-construction.

Chez Demopolis Concertation, nous dĂ©fendons une approche de la concertation comme un processus exigeant, oĂč les citoyens ne sont pas seulement consultĂ©s, mais vĂ©ritablement associĂ©s Ă  l’élaboration des dĂ©cisions. La concertation n’est pas une mise en scĂšne dĂ©mocratique : c’est une mĂ©thode pour faire Ă©merger l’intelligence collective, donner du pouvoir d’agir, et crĂ©er des projets plus lĂ©gitimes, plus adaptĂ©s, plus durables.

Et ce n’est pas une idĂ©e neuve. Il suffit de remonter Ă  l’AthĂšnes du Ve siĂšcle avant notre Ăšre, pour retrouver cette ambition. Sous l’impulsion de PĂ©riclĂšs, la citĂ© dĂ©mocratique prend forme. Les citoyens sont indemnisĂ©s pour siĂ©ger aux assemblĂ©es, la parole politique devient une affaire commune. Mais dĂ©jĂ , des tensions apparaissent : la dĂ©mocratie athĂ©nienne reste fondĂ©e sur une Ă©lite masculine, excluant femmes, esclaves et mĂ©tĂšques ; et PĂ©riclĂšs, derriĂšre le masque du dĂ©bat collectif, concentre entre ses mains une influence considĂ©rable. Le pouvoir reste vertical, mĂȘme si la parole est horizontale.

Ce paradoxe s’étend avec la Ligue de DĂ©los, alliance militaire entre citĂ©s grecques. Créée pour dĂ©fendre un intĂ©rĂȘt commun, elle devient rapidement un outil au service de la puissance athĂ©nienne, qui impose ses choix aux autres membres. L’histoire est connue : la coopĂ©ration dĂ©gĂ©nĂšre en domination.

Or, c’est un risque qui nous guette aujourd’hui. Le systĂšme institutionnel français aime Ă  afficher sa modernitĂ© dĂ©mocratique : dĂ©bat public, conventions citoyennes, consultation numĂ©rique, plateformes interactives
 Mais trop souvent, ces outils restent symboliques. Les dĂ©cisions sont prises en amont. Les marges de manƓuvre sont minimes. La concertation est convoquĂ©e pour valider, non pour construire.

Les exemples rĂ©cents sont nombreux. La Commission nationale du dĂ©bat public (CNDP) peine Ă  faire entendre sa voix, rĂ©duite parfois Ă  organiser des dĂ©bats dont l’issue semble dĂ©jĂ  scellĂ©e. Le chantier de l’autoroute A69, suspendu juridiquement sous la pression d’une partie des acteurs du territoire, illustre Ă  quel point le fossĂ© s’accroĂźt entre les uns et les autres. Les dispositions de la loi sur l’industrie verte, qui rĂ©duisent la concertation Ă  une simple chambre d’enregistrement (toujours trop tard, toujours trop binaire) renforcent cette dĂ©fiance Ă©galement envers les Ă©nergies renouvelables par exemple. Et les rĂ©fĂ©rendums promis par le prĂ©sident de la RĂ©publique depuis 8 ans, jamais concrĂ©tisĂ©s, incarnent une dĂ©mocratie en suspension, en attente.

Face Ă  cela, nous devons faire un choix. Soit nous assumons que la dĂ©mocratie n’est qu’un dĂ©cor, une vitrine vide. Soit nous rĂ©affirmons que la concertation est un outil de souverainetĂ© populaire. Un outil de transformation rĂ©elle. Cela suppose des moyens, du temps, une volontĂ© politique claire. Cela suppose surtout de reconnaĂźtre que les citoyens ne sont pas des spectateurs, mais des acteurs de leur territoire.

La campagne des Municipales 2026, qui s’ouvre, sera un test dĂ©cisif. Les maires, pour peu qu’il y ait suffisamment de candidats (ce qui est un sujet en soi), sont en premiĂšre ligne : ils incarnent la proximitĂ©, la rĂ©alitĂ© du terrain. Leur rĂŽle sera d’autant plus crucial qu’ils auront su inclure les habitants dans la dĂ©finition des projets, dans les arbitrages parfois douloureux, dans les transitions qui s’annoncent.

Nous appelons donc Ă  un sursaut dĂ©mocratique. Non pas pour dĂ©fendre abstraitement la concertation, mais pour la rĂ©inventer. Pour en faire un vrai outil de co-construction, ancrĂ© dans les territoires, reliĂ© aux enjeux du quotidien, capable de dĂ©passer les fractures. Car dans une Ă©poque oĂč la parole publique est mise en doute, la seule lĂ©gitimitĂ© qui tienne, c’est celle que l’on partage.

 

Par Lorette HAFFNER et David HEINRY, associés de Demopolis Concertation.