
La France entre dans une pĂ©riode politique dĂ©terminante. Ă quelques mois des Ă©lections municipales de 2026, les campagnes Ă©lectorales sâannoncent sous haute tension, dans un climat national traversĂ© par la mĂ©fiance, le repli sur soi et une contestation diffuse du politique, des institutions, certains diraient de lâautoritĂ©. Sur les territoires, en particulier dans la France rurale et pĂ©riphĂ©rique, les fractures dĂ©mocratiques sâapprofondissent. Les extrĂȘmes gagnent du terrain Ă coup de tribunes TikTok, en se posant comme seuls remparts contre une RĂ©publique perçue comme lointaine, technocratique, voire mĂ©prisante.
Dans ce contexte, la concertation publique, dĂ©jĂ fragilisĂ©e, devient une cible. On voit Ă©merger des demandes pour suspendre, voire supprimer, les concertations sur les projets dâinfrastructure et dâamĂ©nagement. Officiellement, il sâagirait dâĂ©viter les tensions, de prĂ©server la tranquillitĂ© des territoires, dâavoir un temps suspendu avant les Ă©lections. Comme si lâabsence de dĂ©bat⊠public allait dissiper la colĂšre. En rĂ©alitĂ©, ces appels reviennent Ă invisibiliser les enjeux, Ă prendre du retard et dĂ©velopper lâabsurde pour mieux alimenter la colĂšre.
Mais câest prĂ©cisĂ©ment ce quâil ne faut pas faire : la dĂ©mocratie se reconstruit par lâĂ©coute active, le dialogue et le dĂ©bat dâidĂ©es, pas par le silence et la procrastination. Ă lâheure oĂč la sociĂ©tĂ© doute de ses institutions, oĂč les Ă©lus sont questionnĂ©s dans leur lĂ©gitimitĂ©, oĂč la transition Ă©cologique est contestĂ©e non sur le fond mais sur ses modalitĂ©s, la concertation ne peut plus se contenter dâĂȘtre un exercice formel. Elle doit devenir un acte politique fort : celui de la co-construction.
Chez Demopolis Concertation, nous dĂ©fendons une approche de la concertation comme un processus exigeant, oĂč les citoyens ne sont pas seulement consultĂ©s, mais vĂ©ritablement associĂ©s Ă lâĂ©laboration des dĂ©cisions. La concertation nâest pas une mise en scĂšne dĂ©mocratique : câest une mĂ©thode pour faire Ă©merger lâintelligence collective, donner du pouvoir dâagir, et crĂ©er des projets plus lĂ©gitimes, plus adaptĂ©s, plus durables.
Et ce nâest pas une idĂ©e neuve. Il suffit de remonter Ă lâAthĂšnes du Ve siĂšcle avant notre Ăšre, pour retrouver cette ambition. Sous lâimpulsion de PĂ©riclĂšs, la citĂ© dĂ©mocratique prend forme. Les citoyens sont indemnisĂ©s pour siĂ©ger aux assemblĂ©es, la parole politique devient une affaire commune. Mais dĂ©jĂ , des tensions apparaissent : la dĂ©mocratie athĂ©nienne reste fondĂ©e sur une Ă©lite masculine, excluant femmes, esclaves et mĂ©tĂšques ; et PĂ©riclĂšs, derriĂšre le masque du dĂ©bat collectif, concentre entre ses mains une influence considĂ©rable. Le pouvoir reste vertical, mĂȘme si la parole est horizontale.
Ce paradoxe sâĂ©tend avec la Ligue de DĂ©los, alliance militaire entre citĂ©s grecques. Créée pour dĂ©fendre un intĂ©rĂȘt commun, elle devient rapidement un outil au service de la puissance athĂ©nienne, qui impose ses choix aux autres membres. Lâhistoire est connue : la coopĂ©ration dĂ©gĂ©nĂšre en domination.
Or, câest un risque qui nous guette aujourdâhui. Le systĂšme institutionnel français aime Ă afficher sa modernitĂ© dĂ©mocratique : dĂ©bat public, conventions citoyennes, consultation numĂ©rique, plateformes interactives⊠Mais trop souvent, ces outils restent symboliques. Les dĂ©cisions sont prises en amont. Les marges de manĆuvre sont minimes. La concertation est convoquĂ©e pour valider, non pour construire.
Les exemples rĂ©cents sont nombreux. La Commission nationale du dĂ©bat public (CNDP) peine Ă faire entendre sa voix, rĂ©duite parfois Ă organiser des dĂ©bats dont lâissue semble dĂ©jĂ scellĂ©e. Le chantier de lâautoroute A69, suspendu juridiquement sous la pression dâune partie des acteurs du territoire, illustre Ă quel point le fossĂ© sâaccroĂźt entre les uns et les autres. Les dispositions de la loi sur l’industrie verte, qui rĂ©duisent la concertation Ă une simple chambre d’enregistrement (toujours trop tard, toujours trop binaire) renforcent cette dĂ©fiance Ă©galement envers les Ă©nergies renouvelables par exemple. Et les rĂ©fĂ©rendums promis par le prĂ©sident de la RĂ©publique depuis 8 ans, jamais concrĂ©tisĂ©s, incarnent une dĂ©mocratie en suspension, en attente.
Face Ă cela, nous devons faire un choix. Soit nous assumons que la dĂ©mocratie nâest quâun dĂ©cor, une vitrine vide. Soit nous rĂ©affirmons que la concertation est un outil de souverainetĂ© populaire. Un outil de transformation rĂ©elle. Cela suppose des moyens, du temps, une volontĂ© politique claire. Cela suppose surtout de reconnaĂźtre que les citoyens ne sont pas des spectateurs, mais des acteurs de leur territoire.
La campagne des Municipales 2026, qui sâouvre, sera un test dĂ©cisif. Les maires, pour peu quâil y ait suffisamment de candidats (ce qui est un sujet en soi), sont en premiĂšre ligne : ils incarnent la proximitĂ©, la rĂ©alitĂ© du terrain. Leur rĂŽle sera dâautant plus crucial quâils auront su inclure les habitants dans la dĂ©finition des projets, dans les arbitrages parfois douloureux, dans les transitions qui sâannoncent.
Nous appelons donc Ă un sursaut dĂ©mocratique. Non pas pour dĂ©fendre abstraitement la concertation, mais pour la rĂ©inventer. Pour en faire un vrai outil de co-construction, ancrĂ© dans les territoires, reliĂ© aux enjeux du quotidien, capable de dĂ©passer les fractures. Car dans une Ă©poque oĂč la parole publique est mise en doute, la seule lĂ©gitimitĂ© qui tienne, câest celle que lâon partage.
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Par Lorette HAFFNER et David HEINRY, associés de Demopolis Concertation.