À force de gérer l’urgence, les territoires perdent leur capacité à se projeter. Pour réconcilier action publique et désir d’avenir, il faut remettre du récit au cœur de la décision locale. Pas un storytelling, mais une vision partagée, construite collectivement.
Notre époque vit au rythme du court terme, entre crises successives, urgence permanente et débats locaux crispés. Tout semble se décider dans l’instant, à la faveur d’un budget à voter, d’une polémique à éteindre, d’un projet à défendre ou à bloquer. Le temps long s’efface, l’intérêt général se dilue. Et nos territoires, accaparés par la gestion de l’immédiat, peinent à se mobiliser autour d’un cap commun.
Ce déficit de projection ne relève pas seulement de l’empilement des dossiers ou du manque de moyens. Il traduit quelque chose de plus profond : la difficulté à dire où l’on veut aller ensemble, et donc à construire un récit collectif qui tienne. Sans vision partagée, les transitions se fragmentent, la cohésion s’érode et l’action publique s’épuise à “faire” sans parvenir à “relier”. Un territoire sans récit, c’est une communauté sans horizon.
Le récit, un bien commun à reconstruire
Pendant des décennies, les politiques d’aménagement du territoire portaient un horizon clair : moderniser, équiper, relier. Ces récits avaient leurs angles morts et leurs conflits, mais ils donnaient parfois un sens plus évident à l’action publique et légitimaient l’effort collectif.
Aujourd’hui, cette évidence a disparu. Chacun défend “son” projet, “sa” cause, “son” territoire. L’aménagement s’est fragmenté, souvent réduit à une addition d’initiatives locales sans cohérence d’ensemble.
Ce qu’il manque, ce n’est pas une stratégie de communication, mais un imaginaire collectif. Un cadre de sens capable de relier les acteurs et de redonner souffle au débat public. Le récit n’est pas un supplément d’âme : c’est un bien commun, indispensable pour penser et agir ensemble. Il joue le rôle d’une boussole invisible : il organise les priorités, arbitre entre des choix parfois contradictoires et permet de tenir un cap dans la durée, même quand la conjoncture se tend.
Remettre du temps long dans la décision
Face à cette perte de repères, les démarches de prospective et les “récits 2050” se multiplient. Ils traduisent une aspiration forte : retrouver le sens, se projeter, imaginer un avenir souhaitable. Ce mouvement n’est pas isolé : il fait écho aux grands cadres internationaux qui, depuis plusieurs années, invitent à réinscrire l’action publique dans le temps long — Agenda 2030, Objectifs de développement durable, stratégies climat.
Peu à peu, ces horizons globaux se déclinent en trajectoires locales, en feuilles de route et en exercices qui cherchent à redonner aux territoires la capacité de penser l’avenir autrement que sous le seul prisme de l’urgence.
Mais ces exercices risquent parfois de rester hors-sol : de belles visions, peu appropriées, parfois plaquées. L’écart se creuse alors entre des documents très aboutis et des habitants qui n’en voient ni le lien avec leur quotidien, ni les conséquences concrètes sur leurs vies.
Le véritable enjeu est d’ancrer ces récits dans le réel, dans le vécu quotidien des habitants, dans les tensions et les possibles de chaque territoire. Faute de quoi, la vision prospective peut devenir contre-productive, en nourrissant la défiance plutôt que l’adhésion. Un récit utile ne se contente pas de décrire un futur idéal : il aide à naviguer dans les compromis, les renoncements et les conflits de valeurs qui jalonnent le chemin pour y parvenir.
Un récit n’a de valeur que s’il est partagé, discuté, incarné. Il ne se décrète pas : il se construit collectivement, à la croisée des regards d’élus, d’acteurs économiques, d’associations et de citoyens. Il prend forme au fil des échanges, dans la mise à plat des désaccords, dans le travail patient sur ce qui fait véritablement enjeu pour un territoire. C’est ce tissage progressif entre acteurs — parfois lent, parfois traversé de tensions — qui permet progressivement de clarifier un horizon commun.
(Re)faire société par la mise en récit
Mettre en récit un territoire, ce n’est pas lui inventer une image. C’est ouvrir un espace de dialogue sur le futur : que voulons-nous préserver ? transformer ? transmettre ?
La prospective devient alors une démarche démocratique, pas technocratique. Elle ne vise plus seulement à anticiper, mais à réconcilier : relier la parole politique à la parole habitante, l’urgence du présent au désir d’avenir.
Le récit devient un levier de cohésion : il ravive l’intérêt général non comme une idée abstraite, mais comme une construction vivante et partagée.
Accompagner la fabrique des récits collectifs
Au sein de Demopolis Concertation, nous sommes convaincus que la concertation ne se limite pas à la gestion des projets du moment. Elle est aussi un espace de projection, un lieu où les territoires peuvent se raconter, se comprendre, s’imaginer.
Notre rôle : accompagner élus, acteurs et habitants dans l’écriture de récits collectifs lucides, sensibles et partagés. Des récits ancrés dans le réel, capables d’articuler les transitions, de susciter l’engagement, de donner envie d’avenir.
Nous aidons les territoires à formuler un futur souhaitable et crédible, à le traduire en stratégie mobilisatrice, en récit d’aventure collective. Parce qu’en définitive, les transitions écologique, sociale et démocratique ne réussiront pas par la seule addition de solutions techniques : elles réussiront par la construction d’un sens commun.
Par Lucile Moal, Responsable Missions et Développement, et David Heinry, Président.
Agence Demopolis Concertation.