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05 November 2025

[LE BON SENS : CETTE ARME DE DISTRACTION MASSIVE]

Une vertu célébrée… et perdue

Hier, 4 novembre, c’était la Journée mondiale du bon sens. Une journée censée célébrer cette vertu populaire, ce repère universel censé guider nos choix individuels et collectifs. Ironie du calendrier : jamais cette notion n’a semblé aussi insaisissable, voire galvaudée. Car le “bon sens” est devenu un slogan passe-partout, un paravent commode derrière lequel se cachent la paresse du raisonnement et la peur du collectif.

Il rassure, il simplifie, il évite de penser — bref, il distrait.

Quand tout le monde a raison, plus personne n’écoute

Le “bon sens” est partout. Dans la bouche du politique qui justifie l’injustifiable, du citoyen qui balaie d’un revers de main toute complexité, de l’expert médiatique qui confond certitude et vérité. Il s’érige en argument suprême, celui qui dispense d’écouter, de douter, de comprendre. Chacun le revendique, mais aucun ne parle du même. Car le bon sens est devenu un miroir déformant : il reflète surtout la réalité de celui qui le brandit. Il est l’alibi commode des simplifications et des postures. Une morale à géométrie variable, brandie pour justifier les contradictions les plus criantes : réclamer la participation sans écouter, invoquer la proximité tout en décidant d’en haut, prôner l’écoute collective en monologue permanent. Dans une société saturée d’opinions, où chaque phrase devient un tweet et chaque nuance une faiblesse, le bon sens est devenu l’étendard des certitudes. Chacun s’y réfugie comme dans une forteresse, persuadé d’en être le dépositaire exclusif.

Résultat : une inflation de “vérités” individuelles, un brouhaha généralisé où la parole publique se vide de sens, et où la concertation, quand elle existe, se réduit trop souvent à un rituel d’affichage.

Le vrai bon sens, celui qui se construit

Pourtant, le véritable bon sens n’a rien d’instinctif. Il ne se décrète pas à coups de formules ni de slogans. Il se construit dans le frottement des points de vue, dans l’effort d’écoute, dans la confrontation — parfois rugueuse — entre visions opposées. Autrement dit, dans le travail collectif. Ce travail, la concertation le rend possible lorsqu’elle est sincère : transformer la somme des intérêts en intelligence partagée, faire dialoguer les désaccords au lieu de les nier, replacer l’humain et la raison au cœur de la décision. Là réside le vrai bon sens — pas dans le réflexe, mais dans la construction. Pas dans le “on sait bien”, mais dans le “on cherche ensemble”.

Réhabiliter le bon sens collectif

Mais pour cela, encore faut-il accepter d’écouter pour comprendre, et non pour répondre. Reconnaître que la légitimité d’une parole ne vient pas de son volume, mais de sa cohérence. Et admettre, surtout, que le doute n’est pas un signe de faiblesse, mais la condition de la lucidité. Car tant que le bon sens sera invoqué pour éviter le débat plutôt que pour l’éclairer, il restera une fiction nationale, confortable et stérile. Il est urgent de le réhabiliter, non comme un mot d’ordre, mais comme une pratique démocratique : lente, exigeante, contradictoire, parfois inconfortable. Le bon sens collectif, celui que nous appelons de nos vœux, suppose de retrouver le goût du dialogue, le courage de la nuance et la patience du compromis. Il exige de réapprendre à parler pour construire, pas pour gagner. Et surtout, il rappelle que la démocratie ne repose pas sur la somme des opinions, mais sur la qualité de la discussion.

Le bon sens, le vrai, n’est pas un réflexe populaire. C’est un art civique. Et comme tout art, il demande un peu de pratique.

Par David Heinry, Président, agence Demopolis Concertation.